Opioïdes et COVID-19 — quand une crise en cache une autre : Josée Joliat
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14 min | Publié le 25 mai 2021
Bien que la crise des opioïdes ne fasse plus les gros titres depuis le début de la pandémie de COVID-19, les facteurs y ayant mené sont toujours présents, et nombre d’entre eux se sont même aggravés. Nous discutons avec Josée Joliat, infirmière hygiéniste au Service de santé publique de Sudbury, de l’incidence des mesures et des restrictions liées à la pandémie dans sa collectivité.
Cet épisode est disponible en français seulement.
Transcription
Alex Maheux:
Comme la pandémie Covid-19 évolue rapidement, les circonstances ont peut-être changé depuis l’enregistrement de cette entrevue et ne reflètent pas nécessairement la situation présente.
Bonjour et bienvenue au balado d’information sur la santé au Canada. Je suis votre animatrice, Alex Maheux.
Dans cette émission de l’Institut canadien d’information sur la santé, nous allons analyser les systèmes de santé du Canada avec des experts qualifiés. Restez à l’écoute pour en savoir plus sur les politiques et les systèmes de santé et sur le travail effectué pour favoriser la santé des Canadiens.
Aujourd’hui, nous discutons les crises superposées des opioïdes et la pandémie Covid-19. Nous en discutons avec Josée Joliat, une infirmière de santé publique sur l’équipe de santé mentale et l’utilisation des substances à la Santé publique de Sudbury et ses districts, en Ontario. Josée est la coordonnatrice de la Stratégie communautaire contre les drogues pour la ville de Sudbury et travaille pour adresser les problèmes reliés aux opioïdes et les autres substances en utilisant une approche globale.
Rappelez-vous que les opinions et les commentaires de nos invités ne reflètent pas nécessairement ceux de l’Institut canadien d’information sur la santé. Allons-y.
Bonjour, Josée. Bienvenue au balado de l’ICIS.
Josée Joliat:
Bonjour. Merci.
Alex Maheux:
Alors, la propagation de la Covid-19 au Canada et autour du monde dans les derniers 18 mois a eu de graves conséquences sur la santé de tous les Canadiens. Par contre, nous savons aussi que certains ont été plus affectés de façon disproportionnée, incluant qu'ils vivent avec l’utilisation de substances. Dans votre rôle comme infirmière de santé publique, comment trouvez-vous un équilibre entre la pandémie qui fait des ravages, la crise d’opioïdes et d’autres problèmes dans la communauté?
Josée Joliat:
Mm-hm. Puis il faut aussi noter que je crois que ça va prendre un peu de temps pour comprendre les effets que la pandémie a eus sur nos communautés. Ça va être intéressant de voir quand on est sorti de la pandémie à quoi ça va ressembler, au fond. Mais quand ça vient à balancer le travail, c’est certain que la pandémie a pris beaucoup de notre temps, beaucoup de nos ressources, bien évidemment, mais je crois que c’est important et ce que notre agence a continué de faire, c’est juste de s’assurer qu’on tient en compte les diverses communautés qu’on doit quand même offrir des services qui méritent quand même d’être considérées, surtout les personnes qui sont affectées de façon disproportionnée dans notre communauté. On pense aux déterminants sociaux de la santé, on voit les résultats, on voit les rapports qui sortent pour les personnes qui vivent dans la pauvreté, des problèmes professionnels, de logement, etc.
Mais je crois que ce qui nous a aidés, c’est au travers de la stratégie communautaire contre les drogues qui est notre groupe organisme collaborateur local où nous avons diverses agences, divers secteurs qui siègent pour regarder l’impact de la consommation des substances dans notre communauté. C’est cette collaboration de ce groupe que je crois qui nous a vraiment aidés. On a vu des programmes ou des initiatives qui sont sortis. On pense un peu hors de la boîte pour être capable de répondre aux besoins et c’est vraiment ces collaborations que je crois qui nous ont vraiment aidés. On sait, quand ça vient à la consommation des substances puis réduire ses méfaits, que c’est un travail de communauté qu’on doit faire. Donc, c’est vraiment de tenir ça en tête quand on fait ce travail.
Alex Maheux:
Nous entendons beaucoup parler des données par rapport aux opioïdes, mais évidemment on parle de vraies personnes. Comment ça se déroule à présent sur le terrain et quel message aimeriez-vous nous laisser?
Josée Joliat:
Bien, je crois que ce qui est important à se souvenir, c’est que, qu’est-ce qui se passe présentement, quand ça vient au marché illicite de substances, c’est vraiment le niveau qui est toxique, mais aussi le fait que c’est imprévisible qui rend ça tellement dangereux pour les personnes. C’est des personnes qui sont en mode de survie et on continue de perdre plusieurs personnes dans notre communauté. On vient de recevoir nos statistiques pour l’année 2020. On savait que les statistiques allaient augmenter parce qu’elles augmentent depuis 2017, mais ça fait vraiment un choc de voir que chaque personne a eu une famille, a eu une communauté, a eu des personnes autour d’elle. Et qu’on ait perdu ces personnes-là , ça fait vraiment mal de voir les effets dévastateurs que ça a sur notre communauté. Mais aussi je crois qu’il faut juste se souvenir qu’il y a tellement de différentes choses qu’on peut faire aussi dans nos communautés pour être capable de soutenir ces personnes-là . En 2019, on est sorti avec une campagne qui s’appelle « Nous sommes Jeff », qui regarde les diverses choses qu’on peut faire, peu importe notre rôle dans la communauté, pour soutenir les gens, que ce soit à la petite enfance, dans le milieu du travail, dans le système de santé, etc. Chaque personne peut avoir un rôle pour avoir une différence dans la vie d’une personne; c’est un peu la conclusion de l’histoire, de la campagne. Mais c’est juste de tenir en compte et de continuer ces interventions-là qui nous aident beaucoup.
Alex Maheux:
Le plus récent rapport de l’ICIS décrit les conséquences inattendues de la pandémie Covid-19. Spécifiquement, on a regardé les méfaits causés par l’utilisation de substances et on a vu que les services d’urgence et les hospitalisations en relation à l’empoisonnement par le fentanyl et les opioïdes ont augmenté par 28 % et 49 % respectivement dans la dernière année. Comment est-ce que la pandémie et les restrictions sanitaires affectent votre travail? Quels sont les défis les plus importants?
Josée Joliat:
Bien, au début de la pandémie, on a vu que les recommandations de Santé publique pour se protéger contre la Covid-19 vont un peu à l’encontre des précautions qu’on encourage pour la réduction des méfaits de la consommation des substances. On dit pour la Covid-19 de s’isoler et de rester au loin des autres personnes, mais quand ça vient à la consommation des substances, l’isolation peut tuer une personne, ne pas avoir quelqu’un autour pour te superviser et être capable de réagir si jamais tu faisais une surdose. Ce sont des messages qui vont un peu à l’encontre d’un et l’autre. Mais, les communautés, on a été capable de penser encore en dehors de la boîte – je pense que ç’a été un peu le terme quand ça vient à la pandémie – et de mettre en place des solutions le mieux possible.
Il y a des choses comme des lignes de surdose qui ont été mises en place, que, nous, on encourage beaucoup dans nos communautés pour être capables de s’assurer. Ce que la personne peut faire, si elle a accès à un téléphone, c’est qu’elle peut appeler ce numéro et avoir quelqu’un à l’autre bout pour répondre aux besoins. Ce qui est bien, c’est que c’est une ligne qui est créée par et pour des personnes qui consomment des substances. Aussi il y a des choses comme les centres d’isolement pour les personnes qui vivent sans abri. Ce sont de diverses méthodes ou diverses interventions qu’on a été capable de réagir et de mettre en place rapidement, parce qu’on a vu le besoin, on a vu que c’est très important qu’on mette quelque chose en place. C’est exactement les données, ç’a fait vraiment le choc dans nos communautés, je crois, quand on a vu des chiffres-là .
Alex Maheux:
Mm-hm. Vous avez parlé des lignes d’appel, des centres d’isolement.
Josée Joliat:
Mm-hm.
Alex Maheux:
Est-ce qu’il y avait d’autres programmes et stratégies que vous avez utilisés pour trouver des solutions à ces mêmes défis?
Josée Joliat:
Mm-hm. On a même vu dans notre communauté diverses agences ou divers organismes qui ont travaillé un peu hors des normes et se sont mis ensemble pour être capables de continuer d’offrir des services. Les Leader Withdrawal Management – je ne connais pas le terme en français – ont été capables de continuer d’offrir ces services à la communauté. Parce qu’avec les besoins de fermer tous les services et de s’adapter aux recommandations de santé publique, ç’a été difficile pour être capable de maintenir les services que les gens étaient tellement habitués à avoir, les groupes de soutien, etc., on ne pouvait plus les avoir. Donc ça fait une personne qui a trouvé des logements qui sont plus grands afin que les personnes puissent avoir des groupes de soutien où les gens sont un peu plus éloignés. Donc, encore penser en dehors de la boîte.
Alex Maheux:
Alors, on est à Sudbury, qui est une communauté plus isolée et rurale. Est-ce qu’il y a des défis particuliers que vous avez dans votre communauté?
Josée Joliat:
Oui, certainement. Il y a des défis dans toutes les communautés rurales et surtout dans le nord de l’Ontario. Il y a plusieurs données qui peuvent renforcer ce point-là . Par exemple, on vient de recevoir nos données du Bureau du coroner pour l’année 2020 au niveau des décès liés aux opioïdes. Notre incidence dans notre région est le numéro un pour notre province. Les cinq régions les plus hautes dans la province se retrouvent presque toutes dans le nord de l’Ontario. On regarde Algoma, on regarde la région de Timmins, on regarde Thunder Bay aussi. C’est la preuve si on veut regarder les chiffres et les données que vraiment le nord de l’Ontario est plus affecté.
Il y a plusieurs raisons pour ça. Il y a un manque de ressources et aussi juste le fait de… Tu sais, on met beaucoup une grande influence sur les gros centres urbains, mais les mêmes problèmes qu’on peut voir dans les grands centres urbains se retrouvent aussi dans nos communautés rurales. En plus de ça, où il y a aussi… J’ai mentionné le manque de ressources, mais on retrouve aussi des populations qui sont une minorité aussi. Donc, les populations francophones. On retrouve aussi une plus grande population de personnes qui sont Premières nations, mais inuites, dans ces communautés rurales et isolées aussi. Donc, ça rajoute un peu sur les défis que peut-être d’autres centres ou d’autres régions peuvent retrouver.
Alex Maheux:
Vous avez parlé d’un manque de ressources dans les communautés plus rurales. Je me demandais aussi si dans les différentes régions culturelles comment le stigma joue un rôle dans l’utilisation ou la consommation des substances, qu’est-ce que vous faites pour essayer de réduire le stigma dans votre communauté?
Josée Joliat:
Oui, absolument, puis malheureusement le stigma tue. C’est le jugement et ces préjugés et aussi la honte que les personnes vivent qui impactent tellement quand ça vient à la consommation des substances, et aussi la mise en place des interventions. On voit dans diverses communautés, Sudbury n’est pas exclue de ça, on voit dans diverses communautés des gens qui risquent de mettre en place des services de réduction des méfaits ou des services qui cherchent à aider les personnes qui consomment des substances. Ça a un gros impact pour être capable de mettre en place ces services-là , surtout quand on se retrouve dans une région qui a un manque de capacité pour être capable de vraiment prioriser ce travail à temps plein. Donc, oui, ça peut être très difficile.
Alex Maheux:
J’imagine qu’être travailleur de la santé dans ce domaine c’est déjà une profession très difficile. Comment gérez-vous avec ce stress et comment vous sentez-vous?
Josée Joliat:
Pour gérer le stress, je crois que c’est juste de continuer jour après jour et vraiment de savoir c’est quoi la ligne finale. La crise des opioïdes, c’est quand même un gros domaine et c’est un gros problème dans notre communauté. Ce n’est pas juste une personne qui va être capable de mettre fin à la crise, mais de savoir que tout le travail qu’on est capable de faire dans ce domaine apporte quelque chose, et d’y penser, de continuer d’un peu tenir bon. Mais aussi je crois que ce qui aide avec ce rôle, c’est de voir toutes les différentes initiatives qui ressortent de la communauté. Depuis la pandémie, on a vu des groupes volontaires qui ressortent, des gens qui voient les besoins, d’être capable d’aider diverses personnes dans notre communauté et de se mettre ensemble et de s’adapter et de trouver des façons de s’entraider l’un et l’autre. Ça, c’est vraiment des choses qui font chaud au cœur et de voir que les personnes veulent voir une différence que ça vaut le coup de continuer à mettre le travail. Donc, j’espère qu’avec ces groupes ça va nous aider à amplifier un peu le message qu’on essaie de promouvoir, de savoir que quand ça vient à la crise des opioïdes, c’est quelque chose qui est priorité et qu’on doit continuer à s’y attaquer et de mettre en place des interventions pour sauver des vies, parce qu’à la base, c’est ça que c’est, c’est sauver des vies.
Alex Maheux:
Mm-hm. Et sur ce dernier message, qu’est-ce que vous espérez que l’avenir nous réserve dans ce milieu?
Josée Joliat:
C’est difficile de penser à l’avenir. J’essaie d’éviter de le faire, parce que le domaine change tellement. Les tendances, les besoins changent tellement. Mais je crois que notre communauté, puis même au niveau international, ce qu’on a été capable de voir, c’est quand on s’y met on peut vraiment faire changer tous nos systèmes. Et j’espère qu’avec ça, on va être capable de se prouver qu’on est capable de mettre en place vraiment des grandes initiatives, des grands changements qu’on a besoin, puis être capable d’aider ces communautés qui sont disproportionnées, être capable de sauver les personnes qui consomment des substances, un marché illicite qui est toxique, qui est imprévisible, qui est dangereux. On voit des solutions qui sont mises en place dans les autres communautés. Donc, ces interventions, les interventions de sites d’injection supervisés ou sites de consommation supervisés, c’est de voir ces initiatives-là . J’espère d’être capable de savoir que dans toutes les communautés on peut avoir accès à des interventions de réduction des méfaits de ce niveau-là . C’est vraiment à ça que j’y tiens.
Alex Maheux:
Et je crois qu’avec du monde comme vous dans le métier, on peut certainement faire une différence. Merci encore, Josée, pour être avec nous aujourd’hui et pour le travail important que vous faites dans votre communauté.
Josée Joliat:
Merci beaucoup de m’avoir.
Alex Maheux:
Merci d’avoir été à l’écoute. Nous espérons que cet épisode vous a plu. Revenez-nous bientôt, car nous continuerons à présenter des points de vue intéressants et à décortiquer les sujets liés à la santé qui vous intéressent. Pour en savoir plus sur l’ICIS, visitez notre site Web icis.ca Si vous avez apprécié notre discussion d’aujourd’hui, abonnez-vous à notre balado, laissez-nous un commentaire et suivez-nous sur les réseaux sociaux.
Cet épisode a été produit par Jonathan Kuehlein, avec l’aide d’Amie Chant, Marisa Duncan, Shraddha Sankhe et Ramon Syyap. Ici, Alex Maheux. Merci de suivre le balado d’information sur la santé au Canada. À la prochaine.
<Fin de l’enregistrement>
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Comment citer ce contenu :
Institut canadien d’information sur la santé. Opioïdes et COVID-19 — quand une crise en cache une autre : Josée Joliat. Consulté le 8 janvier 2025.
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