Représentation des personnes noires dans le milieu de la santé au Canada — Dr Jean-Joseph °ä´Ç²Ô»åé
³§â€™a²ú´Ç²Ô²Ô±ð°ù

29 min | Publié le 27 février 2023
La pandémie de COVID-19 a fait ressortir des écarts évidents dans les systèmes de santé du Canada, notamment la nécessité de mieux comprendre les causes des inégalités et des disparités en santé fondées sur la race. Dans cet épisode du BISC, l’animatrice Alya Niang s’entretient avec le Dr Jean-Joseph °ä´Ç²Ô»åé, médecin de famille à Val-d’Or, au Québec, et ancien président de l’Association canadienne de protection médicale, au sujet de l’utilité des données fondées sur la race et de l’importance de la représentation des personnes noires dans le milieu de la santé au Canada.
Cet épisode est disponible en français seulement.
Transcription
Alya Niang
La COVID-19 a révélé une profonde division raciale. Les communautés noires et les personnes de couleur ont été parmi les plus durement touchées par le virus et les moins susceptibles d’être protégées par les mesures de santé publique. Mais les problèmes sont bien plus profonds.
Des études montrent qu’il existe une discrimination de longue date dans le système de santé, alimentée par le racisme, l’ignorance et une triste histoire qui négligent les Canadiens noirs et leurs besoins en matière de santé.
Dr °ä´Ç²Ô»åé
Un patient mécontent avec un médecin blanc, avec un Québécois, il va employer des jurons religieux, des jurons québécois. Son premier réflexe, ça va être de vous dire le mot en N…, « sale N…, retourne dans ton pays, je ne veux pas te voir ici ».
Alya Niang
Bonjour et bienvenue au balado d’information sur la santé au Canada. Ici Alya Niang et je suis ravie d’animer cette conversation où nous examinons de plus près notre système de santé.
Rappelez-vous que les opinions et les commentaires de nos invités ne reflètent pas nécessairement ceux de l’ICIS. Cependant, il s’agit d’une discussion libre et ouverte et l’épisode d’aujourd’hui porte sur l’inclusion des personnes noires dans les soins de santé au Canada.
Nous avons avec nous aujourd’hui le docteur Jean-Joseph °ä´Ç²Ô»åé, médecin de famille à Val-d’Or et membre actif du Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Abitibi-Témiscamingue depuis 1987 où il travaille en médecine familiale, en salle d’urgence et en obstétrique.
Le docteur °ä´Ç²Ô»åé a également été le président de l’Association canadienne de protection médicale de 2016 à 2018.
Bonjour docteur °ä´Ç²Ô»åé, bienvenue au balado, c’est un plaisir de vous avoir avec nous.
Dr °ä´Ç²Ô»åé
Bonjour, ça me fait plaisir d’être avec vous aujourd’hui.
Alya Niang
Alors, docteur °ä´Ç²Ô»åé, vous avez fait vos études en médecine à l’Université de Montréal. J’aimerais savoir, en tant que seul étudiant noir en médecine dans une classe de 360 personnes, qu’est-ce qui vous est passé par la tête au premier constat?
Est-ce que c’était un « wow, c’est cool » ou c’était plutôt un « wow, ce n’est pas cool » ? Quelle a été la réaction de vos camarades de classe ?
Dr °ä´Ç²Ô»åé
Quand on fait une entrevue pour rentrer en médecine, on sait qu’il y a beaucoup de candidats, on sait qu’il y en a très peu qui vont être sélectionnés. Donc, on n’a aucune idée avant la première journée, au mois de septembre, que la première année d’université… on n’a aucune idée de savoir combien qu’on sera de gens issus des communautés culturelles présents dans la classe.
Donc, en effet, ça a été ma grande surprise la journée 1. J’arrive là et de réaliser que j’étais le seul noir dans une classe de 180 étudiants.
Et là , donc, je regarde l’année avant moi et on rencontre, puisqu’il y a une initiation, on rencontre l’année avant nous, précédente. Et là , je vois que l’année précédente, il n’y a aucun noir. Et là , je réalise que je suis le seul noir sur deux années de médecine. Donc, sur 360 étudiants, je suis le seul noir.
Ça confirme que c’est très difficile d’entrer en médecine et ça confirme à mes yeux que c’est encore plus difficile quand on est issu d’une communauté culturelle, particulièrement chez les Noirs, d’être admis en médecine.
Donc, non, il n’y a pas de réjouissance particulière, mais ça confirme une observation d’un phénomène dont on se doutait qu’il y a très peu de noirs médecins et il y a encore moins de noirs qui sont admis en médecine.
Alya Niang
Comme médecin noir dans une communauté blanche, comment a été le début de votre carrière ?
Dr °ä´Ç²Ô»åé
Donc, moi, j’ai commencé ma petite carrière dans une petite ville de région éloignée au Québec, à Val-d’Or, une ville de 40 000 habitants. Et en effet, quand j’ai commencé, j’étais le seul médecin noir de l’hôpital et je pense qu’à l’époque, il y avait quatre familles noires à Val-d’Or.
Donc, c’est sûr qu’on est facilement reconnaissable en ville, facilement identifiable. Donc, vous allez au restaurant, vous allez au cinéma, vous allez à l’épicerie. Ah, c’est le médecin noir de l’hôpital, puisqu’il y a quatre familles et on vous reconnaît facilement comme étant le médecin noir de l’hôpital.
Donc, l’effet direct, c’est évidemment qu’il faut être, je pense, doublement plus prudent dans notre pratique. Il faut être doublement plus consciencieux parce qu’on est facilement identifiable. Donc, une erreur, l’erreur va vous suivre pas seulement dans votre milieu professionnel, dans votre travail, l’erreur va vous suivre dans toute la ville. Donc, ça a été ma première constatation, c’est qu’il faut être doublement consciencieux dans le travail.
Alya Niang
Et en fait, c’était quoi vraiment votre ressenti, le fait qu’on vous pointe du doigt, même pour dire : ah, voici le médecin noir, c’était quoi votre ressenti ?
Dr °ä´Ç²Ô»åé
Donc, je m’y attendais un peu, j’ai grandi à Montréal. Montréal, c’est sûr qu’il y a une plus grande communauté noire. Il y a environ 8 % de la population à Montréal est noire.
J’arrive dans une ville où il y a 4 familles noires sur 40 000 habitants. Donc, je m’attendais à être une très, très, très petite minorité visible. Il faut être honnête, l’accueil a quand même été favorable. Les gens ont été accueillants, les gens ont été chaleureux, les gens ont été sympathiques, mais on est conscients. Je dirais qu’on est encore plus conscients que dans une ville comme Montréal ou Toronto qu’on est une minorité visible. On est conscients qu’on est une exception.
Alya Niang
Docteur °ä´Ç²Ô»åé, est-ce que vous avez ou avez-vous eu des modèles noirs en médecine ?
Dr °ä´Ç²Ô»åé
Oui, mes parents ont immigré au Canada dans les années 60. Et un de leurs amis, il venait d’une petite ville d’Haïti. Et donc, ça a été quand même un phénomène marquant pour moi de réaliser qu’il y avait certains de leurs amis qui avaient fait leurs études de médecine en Haïti, qui venaient de la même petite ville du sud d’Haïti qu’eux, que ces amis étaient médecins au Canada.
Donc, en fait, pour un jeune noir, ça confirme votre impression que oui, on peut le devenir, oui, on peut l’être. Mais évidemment, c’était une autre époque, ce sont des gens qui n’avaient pas fait leurs cours de médecine au Canada. Ce sont des gens qui avaient fait leur médecine à l’étranger et qui étaient admis comme médecin étranger au Canada.
Donc, on était conscients qu’il y avait une difficulté de plus de rentrer en médecine au Canada, de faire son cours au Canada. Mais en même temps, ça me faisait plaisir de voir qu’il y avait des médecins haïtiens, des médecins noirs qui travaillaient dans les grands hôpitaux de Montréal. Donc, ça renforce notre conviction qu’on peut réussir et qu’on peut réussir à percer dans le milieu universitaire montréalais de la médecine.
Alya Niang
Vous me disiez tantôt que l’accueil a été chaleureux quand vous êtes arrivé à Val-d’Or et que les gens étaient sympathiques. Mais avez-vous déjà été confronté à des commentaires et des attaques racistes ?
Dr °ä´Ç²Ô»åé
Oui, je pense que tout noir a été confronté à un moment donné ou à un autre de sa vie, de sa carrière, à des commentaires racistes. Je pense que ce sont des phénomènes isolés, mais ça fait mal. Ça fait mal quand on les entend, mais il faut passer par-dessus.
Donc, exemple en médecine, qu’est-ce que les gens vont vous dire ? Vous vous présentez dans la salle d’examen pour rencontrer le patient. Vous vous présentez, le patient vous regarde et vous dit non, moi, je suis ici pour rencontrer le docteur. C’est le docteur que je veux voir. Donc, non, vous n’êtes pas le docteur, évidemment.
Ou bien d’autres que c’est encore plus cru, d’autres qui vont vous dire… donc un patient mécontent avec un médecin blanc, avec un québécois. Il va employer des jurons religieux, des jurons québécois. Son premier réflexe, ça va être de vous dire le mot en N…, « sale N…, retourne dans ton pays. Je ne veux pas te voir ici ».
Donc, vraiment, insister pour vous faire sentir comme une minorité qui n’a pas sa place dans ce milieu. Donc, c’est sûr que ça fait mal, c’est dur. Mais en même temps, comme je dis, il faut être conscient que ce sont des événements isolés qui arrivent chez certains individus dont probablement leur niveau d’éducation doit sûrement laisser à désirer.
Alya Niang
Vous l’avez plutôt considéré comme de l’ignorance. Comment avez-vous réagi pendant ces moments ?
Dr °ä´Ç²Ô»åé
Bon, c’est de l’ignorance. C’est de l’ignorance, ce sont des gens qui n’ont jamais côtoyé de noirs de leur vie. Ce sont des gens qui n’ont jamais lu sur la culture noire. Ce sont des gens qui sont confortables dans leur milieu avec des gens comme eux. Et de rencontrer un étranger, noir en plus, le premier réflexe, c’est d’avoir des commentaires blessants, d’avoir des commentaires racistes. Mais je pense qu’il faut réaliser que ce sont des gens qui, malheureusement, n’ont pas la chance d’avoir une éducation au même niveau que la majorité de la population.
Alya Niang
Docteur °ä´Ç²Ô»åé, il y a certes une certaine diversité dans la profession médicale, mais j’ai une statistique surprenante. En Ontario, les Noirs représentent 4,5 % de la population, mais seulement 2,3 % des médecins. J’aimerais comprendre pourquoi il y a-t-il moins de médecins noirs ? Et comment faire en sorte qu’il y ait davantage de visages noirs dans le secteur de la santé ?
Dr °ä´Ç²Ô»åé
On est conscients que les programmes de médecine partout au Canada sont très contingentés. C’est dur de rentrer en médecine. À Montréal, il y a 1 500 applications pour 200 places. Donc, c’est très compétitif.
Donc, comme les statistiques le prouvent, Statistique Canada, on regarde les chiffres, le niveau socio-économique de la communauté noire, en général, est plus faible, le niveau d’éducation, le niveau de jeune noir qui termine leur cégep, est plus faible.
Donc, c’est plus difficile d’avoir du succès dans ses études quand on vient d’un milieu économique défavorisé, quelle que soit la race. Quelle que soit la race, quand on vient d’un milieu économique défavorisé, c’est plus difficile d’avoir du succès.
Pourquoi ? Parce qu’on a moins d’encadrement des parents. On est obligé de travailler très jeune. Donc, on a moins de temps qu’on consacre à ses études. Bref, tout ça, ultimement, fait que les notes à l’école risquent d’être moins bonnes. Et donc, on a un dossier académique moins compétitif.
Puisque la communauté noire, en général, a un niveau socio-économique un peu plus faible que celui du reste de la population, c’est sûr que la cote R, qui est la moyenne qu’évaluent les universités pour les admissions en médecine, c’est sûr que la cote R va être plus faible.
Donc, lorsqu’on parle de compétition en médecine, on considère que les universités, l’Université de Sherbrooke par exemple, considèrent que n’importe qui, avec une cote R de 32, peut faire un cours de médecine. Donc, avec une cote R de 32, on est capable de réussir. On a l’intelligence, on a les compétences suffisantes pour réussir un cours de médecine.
Malheureusement, l’entrée en médecine est tellement compétitive que finalement, on accepte seulement ceux qui ont une cote R de 35 et plus. Donc, ça veut dire que tous ceux qui ont une cote R entre 32 et 35, malheureusement, n’ont pas la chance de rentrer alors qu’ils ont les compétences, ils ont les capacités de faire un cours de médecine.
Donc, si dans la communauté noire, vous n’avez pas beaucoup d’étudiants qui réussissent à obtenir des cotes R de 35 et plus pour les raisons que j’ai mentionnées tantôt, c’est sûr que si on n’a pas beaucoup d’étudiants avec 35 et plus de cote R, donc on aura beaucoup moins de chances d’avoir des étudiants noirs qui vont réussir à se qualifier pour entrer en médecine.
Donc, quelle est la solution ? Et je pense que c’est ce que font de plus en plus d’universités au Canada. L’Université McGill à Montréal, l’Université de Montréal, l’Université de Toronto, l’Université de Calgary, l’Université de Alberta. C’est d’avoir des programmes afin de promouvoir l’accès des personnes noires au programme de médecine.
Donc, c’est-à -dire, on réserve certaines places dans le programme universitaire pour des gens issus de la communauté noire de façon à reconnaître que oui, il n’y en aura pas beaucoup avec une cote R en haut de 35. Par contre, en réservant certains postes, on va être capable d’aller chercher des étudiants très qualifiés avec une cote R entre 32 et 35.
Il faut avoir ce genre de programme là si on veut augmenter le pourcentage de médecins noirs au Canada, si on veut que le pourcentage de médecins noirs soit représentatif du pourcentage de personnes noires dans la population canadienne.
Alya Niang
Et donc, on pourrait dire que par rapport à la note requise, il y a un problème d’encadrement chez les Noirs. Est-ce qu’on pourrait dire cela ?
Dr °ä´Ç²Ô»åé
C’est multifactoriel, comme je disais. Tout part du niveau socio-économique. Je pense que si on arrive à augmenter le niveau socio-économique chez les Noirs, je pense qu’à ce moment-là , les étudiants noirs pourront être élevés dans des milieux qui vont favoriser l’apprentissage, des milieux qui vont favoriser la performance scolaire. Et donc, on serait capable d’avoir des étudiants noirs qui auront des cotes R aussi élevées que dans la communauté non noire.
Alya Niang
Et êtes-vous souvent sollicité par de jeunes étudiants noirs qui vous demandent des conseils sur ce qu’ils doivent faire ?
Dr °ä´Ç²Ô»åé
Oui, j’en rencontre, j’en rencontre absolument. Ce que je leur dis, c’est qu’il faut travailler, il faut être compétitif, il faut avoir les meilleures notes scolaires, comme tout étudiant canadien. Il faut travailler sa moyenne, être un des meilleurs de sa cohorte.
Mais en même temps, je leur dis de regarder quand ils appliquent à l’université, parce qu’il y a de plus en plus d’universités qui ont des programmes d’accès aux personnes de race noire dans leur programme universitaire. Et donc, on peut faire une application par la voie régulière, mais aussi on peut mentionner qu’on est issu d’une communauté noire et l’application est traitée de façon différente.
Alya Niang
Alors, venons-en un peu aux données. J’ai été surprise d’apprendre qu’au Canada, les hôpitaux ne recueillaient pas de données fondées sur l’origine ethnique. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi les données sur les différents groupes ratio sont importantes ?
Dr °ä´Ç²Ô»åé
C’est très important parce que votre but, c’est d’avoir un corps médical qui est représentatif de la population. Donc, si vous n’avez pas de données, vous ne saurez jamais si votre corps médical est représentatif de la population.
Donc, si on a 3 % de noirs au Canada, on s’attendrait à ce qu’il y ait 3 % de médecins noirs au Canada. Si une ville comme Montréal a 8 % de noirs, on s’attendrait à ce qu’il y ait 8 % de médecins noirs à Montréal. Donc, ça prend des statistiques pour le savoir.
Alya Niang
J’aimerais rajouter mon expérience personnelle à ce sujet. Je suis une Canadienne noire d’origine sénégalaise, Afrique de l’Ouest, et j’ai également vécu des années aux États-Unis avant de m’installer à Montréal il y a 12 ans. Mais je me rends compte que depuis que je suis là et jusqu’à aujourd’hui d’ailleurs, je n’ai jamais eu un médecin noir, que cela soit pour moi ou pour mon enfant, ou encore même, je dirais, rencontrer un médecin noir. Et je ne pense pas non plus que ce soit juste une coïncidence.
Docteur °ä´Ç²Ô»åé, est-ce que cela vous surprend ?
Dr °ä´Ç²Ô»åé
Non, pas du tout. Le nombre de médecins noirs actuellement au Canada n’est pas représentatif du pourcentage de la population noire.
Donc oui, il y a des médecins noirs à Montréal. Oui, il y en a un peu partout au Québec. Mais est-ce qu’ils sont représentatifs de la population noire ? Non, pas du tout. Ils ne sont pas représentatifs du 8 % de noirs qu’il y a à Montréal.
Et c’est pour ça qu’il faut travailler pour augmenter la représentativité de la communauté noire dans le corps médical. Parce qu’on sait que c’est très important pour les gens du point de vue culturel. Il y a certaines personnes pour qui c’est très important d’être soigné par du personnel médical qui comprend leur culture.
Alya Niang
Du fait que nous savons que les médecins noirs restent sous-représentés en médecine et les aspects de leur identité culturelle sont également ignorés, pensez-vous que ce portrait peut être considéré comme une démonstration visuelle des valeurs de la profession qui peuvent être identifiées comme la blancheur ou l’élitisme, la masculinité ou encore le pouvoir ? Qu’en pensez-vous ?
Dr °ä´Ç²Ô»åé
Ce n’est pas ma perception, ce n’est pas mon expérience. Je pense que… est-ce que c’est un fait qu’il y a moins de médecins noirs ? Oui. Qu’on n’est pas représentatif de la population noire ? Oui. Mais est-ce que la société est en train de changer ? Oui. Est-ce qu’on évolue dans la bonne direction ? Oui. Est-ce que les programmes universitaires font des efforts pour admettre de plus en plus d’étudiants noirs ? Oui. Est-ce que les hôpitaux vont recruter de plus en plus de médecins étrangers venant d’Afrique ? Oui, absolument.
Donc, je pense que c’est un phénomène, c’est une société qui évolue et qui essaie de corriger les erreurs du passé ou qui essaie de corriger la proportionnalité de communautés culturelles dans ses corps professionnels.
Alya Niang
Et est-ce que le manque de médecins noirs de première ligne pourrait dissuader les personnes noires à obtenir des soins médicaux ? Qu’en pensez-vous ?
Dr °ä´Ç²Ô»åé
Oui, je pense que c’est clairement démontré. C’est scientifiquement démontré que les gens et quelle que soit la culture, les patients aiment être traités par des gens qui comprennent leur culture.
Vous prenez par exemple la douleur. Donc, on sait que les gens d’origine haïtienne ont une façon d’exprimer la douleur qui est différente des Caucasiens, des Blancs. Une tendance à plus être vocale, de plus exprimer la douleur à voix haute.
Donc, est-ce que ça peut créer un mouvement, des interrogations, des paniques si quelqu’un ne connaît pas la culture ? Oui, mais un médecin d’origine haïtienne va tout à fait comprendre que c’est dans la culture. Ou un immigrant d’origine haïtienne devant la maladie peut se mettre à prier énormément à l’hôpital, sur sa civière, prier à longueur de journée et aux yeux du personnel médical, on se pose la question, est-ce qu’il est en psychose ? Est-ce que c’est un délire religieux ? Alors que pour un médecin haïtien, ce n’est pas du tout un délire religieux. C’est une façon de remettre sa vie, de remettre sa cause entre les mains de Dieu. C’est une façon culturelle qu’on a d’exprimer la peur, le désarroi, c’est de s’en remettre à la religion, de s’en remettre à Dieu.
Mais pour quelqu’un qui ne connaît pas la culture, ça peut le passer et j’ai déjà vu des cas où ça a été interprété comme « Docteur, cette patiente, je pense qu’elle est en train de faire un délire religieux », alors que ce n’est pas du tout. Elle était simplement en train de prier devant une mauvaise nouvelle, comme elle l’a toujours appris depuis qu’elle est petite. Cette personne réagit comme ça.
Alya Niang
D’où l’importance de la diversité pour vraiment mieux comprendre la culture. C’est très important.
Dr °ä´Ç²Ô»åé
Oui, très important de comprendre la culture, comprendre d’où viennent les gens, comment on exprime la douleur dans cette culture-là , comment on exprime la souffrance, être capable de les soigner adéquatement.
Alya Niang
Docteur °ä´Ç²Ô»åé, que savons-nous de l’expérience du racisme et de son impact spécifique sur le bien-être des médecins ? Disons, un impact potentiel.
Dr °ä´Ç²Ô»åé
Je n’ai rien lu. Je n’ai pas lu d’article. Je n’ai pas lu d’étude là -dessus. Pour moi, je peux imaginer que, puis je l’ai vécu, être victime de racisme, au fond, ça crée de l’insécurité.
Une fois que vous vous faites traiter de « sale N… » ou de « retourne dans ton pays », donc tu deviens insécure, même si tu as très confiance en toi et que tu te dis que c’est quelqu’un qui, probablement, a une pauvre éducation, mais tu te poses des questions, tu te questionnes, ça te déstabilise et ça crée une insécurité qui peut affecter ta façon de pratiquer, de travailler dans les minutes ou dans les heures qui suivent cet événement. Parce que cet événement, comme vous l’avez si bien dit, il est blessant.
Donc, ça reste marqué quand même. Oui, on passe à travers, on passe par-dessus, mais ça nous blesse. Donc, le fait d’être blessé, comment vais-je m’adresser à mon prochain patient ? Comment vais-je analyser ses problèmes ? Donc oui, différemment, parce que je suis insécure, je me questionne, j’ai été blessé, donc je ne suis pas la même personne.
Donc oui, je pense que le fait d’être victime de racisme, ça amène de l’insécurité, une perte de confiance en soi chez la personne qui en est victime.
Alya Niang
Je suis curieuse de savoir, en fait, par rapport aux injures, si vous avez déjà été tenté de répondre ?
Dr °ä´Ç²Ô»åé
Donc évidemment, comme médecin, vous savez que nous avons un code de déontologie, donc nous avons des règles. Nous avons des règles professionnelles autour desquelles nous devons évoluer, nous devons travailler. Donc, on ne peut pas s’abaisser comme professionnel de la santé à tomber dans un échange d’insultes ou d’injures avec un patient. Ce ne serait pas acceptable.
Alya Niang
Ça blesse, mais on se retient. Les médecins noirs ont parfois des obstacles à surmonter avant même de faire une demande d’admission à la Faculté de médecine. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Dr °ä´Ç²Ô»åé
L’obstacle, c’est au niveau des notes. Donc, on a l’impression qu’on a bien travaillé, on a l’impression qu’on a une bonne moyenne. On arrive à une moyenne de 34, ce qui est excellent. Et finalement, ce n’est pas suffisant pour rentrer en médecine, c’est frustrant. En plus, on a dû travailler pendant nos études, on a dû gagner des sous. Donc, la grosse frustration, c’est d’avoir travaillé très fort, d’avoir étudié très fort et d’arriver à ne pas se rendre à notre objectif.
Et donc, il faut surmonter cet obstacle-là , il faut garder le moral, il faut réappliquer, il faut aller dans un programme universitaire parallèle pour un an ou deux et surtout ne pas perdre l’intention de réappliquer en médecine. Donc, il faut continuer, il faut continuer malgré les obstacles. Puis, tout le monde a des obstacles pour entrer en médecine, particulièrement comme on l’a dit chez les Noirs, mais il faut continuer. Il ne faut vraiment pas se laisser décourager, c’est la pire chose à faire.
Alya Niang
C’est clair. Et selon vous, présentement, où en est la communauté médicale lorsqu’il s’agit de combattre le racisme au sein de la profession ?
Dr °ä´Ç²Ô»åé
Donc, je pense que la communauté médicale fait de grands efforts pour essayer de combattre le racisme et je vais vous citer le projet de loi C3 qui a été adopté au Parlement fédéral l’année dernière, janvier 2022, décembre 2021. Le projet de loi C3 contre l’intimidation chez les professionnels de la santé.
Donc, un commentaire racisme, un professionnel de la santé pourrait donner lieu à une plainte aux criminels contre l’individu qui l’a formulé parce que ce commentaire-là est considéré comme de l’intimidation envers un professionnel de la santé et il y a une loi qui interdit l’intimidation contre les professionnels de la santé. C’est une loi criminelle par le Parlement canadien qui peut valoir un maximum de 10 ans de prison.
Donc, c’est très sérieux, on ne joue pas avec l’intimidation en médecine et on ne joue pas avec les commentaires racistes dans l’exercice de la profession en médecine. Et quand je dis en médecine, c’est tous les professionnels de la santé, que ce soit l’infirmière, le physiothérapeute, on n’accepte pas l’intimidation, on n’accepte pas les commentaires racistes.
Alya Niang
Et faites-vous partie d’une association qui milite pour la représentation équitable ?
Dr °ä´Ç²Ô»åé
À l’Association médicale canadienne, c’est clair que c’est dans notre mandat, c’est dans notre objectif, la diversité au niveau de l’association, au niveau des employés de l’association, au niveau de la représentation de l’association. Donc, c’est clairement un des objectifs de l’association.
Et si vous regardez les documents, la diversité se retrouve partout dans nos critères. Et je pense que c’est une bonne chose parce que, comme je disais, je pense qu’on s’en va dans la bonne direction. De plus en plus, nous allons avoir des professionnels, des sociétés, des organisations qui ont un visage, qui affichent un visage où la diversité est bien présente.
Alya Niang
S’il y a un étudiant, un stagiaire ou un médecin noir en exercice qui écoute ce balado et qui subit actuellement des microagressions, du racisme ou encore de la discrimination, quel message lui donneriez-vous ?
Dr °ä´Ç²Ô»åé
Donc, deux messages. Premièrement, l’intimidation, le racisme, les agressions ne sont pas acceptables. Il y a une loi canadienne qui les interdit. Vous avez le droit et vous devez appeler la police. Vous avez le droit de porter plainte. Et la police se chargera de faire cheminer le dossier aux autorités compétentes. Donc, l’intimidation, le racisme, c’est inacceptable. Il y a une loi du Code criminel qui protège contre ces agressions.
Et deuxièmement, il ne faut pas s’arrêter à ça. Comme je disais, le plus souvent, ce sont des gens qui n’ont pas eu la chance d’avoir une éducation d’un niveau adéquat pour leur apprendre que le racisme ne mène nulle part. Et encore mieux, qu’on s’enrichit en embrassant la diversité.
Alya Niang
Docteur °ä´Ç²Ô»åé, est-ce que vous avez un message pour les parents, les parents des jeunes étudiants qui débutent la médecine ou des étudiants qui aspirent à faire de la médecine ?
Dr °ä´Ç²Ô»åé
Il faut continuer. Il faut continuer. Bravo si votre enfant veut appliquer en médecine. Bravo si votre enfant veut devenir médecin. Ce n’est pas facile. Il y a fait de gros efforts, mais l’important, c’est de ne pas abandonner.
Donc, n’oubliez pas qu’au Québec, 50 % des admissions dans les facultés de médecine sont des gens qui ont un bac universitaire dans un autre domaine. Donc, ce sont des gens qui n’ont pas choisi la médecine ou qui ne sont pas rentrés en médecine immédiatement en sortant du cégep. Ce sont des gens qui ont fait une formation supplémentaire, qui sont allés chercher des ressources, des compétences supplémentaires et qui ont appliqué en médecine et qui sont devenus médecins. Donc, il ne faut surtout pas se décourager.
Alya Niang
Merci, docteur °ä´Ç²Ô»åé, pour le temps que vous nous avez accordé et pour votre point de vue très réfléchi. Cette conversation a été extrêmement importante et j’espère qu’elle contribuera à amplifier votre voix. Merci beaucoup encore.
Dr °ä´Ç²Ô»åé
Merci de m’avoir reçu. Au plaisir.
Alya Niang
L’ICIS recueille et produit maintenant des données sur les composantes raciales du système de santé canadien. Parce que si vous ne pouvez pas le voir, le compter et comparer les résultats, vous ne pouvez pas le corriger. Merci de vous joindre à notre discussion.
Notre producteur exécutif est Jonathan Kuehlein et un grand merci à Ieashia Minott et Avis Favaro, l’Alya Niang du balado de l’ICIS en anglais.
Pour en savoir plus sur l’Institut canadien d’information sur la santé, veuillez consulter le site www.icis.ca.
N’oubliez surtout pas de vous abonner au balado d’information sur la santé et écoutez-le sur la plateforme de votre choix.
Ici Alya Niang, à la prochaine !
³§â€™a²ú´Ç²Ô²Ô±ð°ù
Comment citer ce contenu :
Institut canadien d’information sur la santé. Représentation des personnes noires dans le milieu de la santé au Canada — Dr Jean-Joseph °ä´Ç²Ô»åé. Consulté le 11 avril 2025.

Si vous souhaitez consulter l’information de l’ICIS dans un format différent, visitez notre page sur l’accessibilité.